« Équitable » : l’essence même du commerce
Nous célébrons aujourd’hui [samedi 14 mai] le « commerce équitable », et nous donnons un coup de projecteur à un type de commerce plutôt qu’à un autre. Or, ma conviction est que tout commerce devrait être équitable. Et je crois profondément dans les vertus intrinsèques du commerce, qui est fondamentalement un facteur de progrès, de développement économique et humain.
Car qu’est-ce que le commerce sinon le fait d’être en relation avec autrui ?
Quand on veut comprendre le présent, se pencher sur l’étymologie des termes que nous utilisons quotidiennement peut être utile.
En latin, commercium signifie dans son sens usuel le négoce, le lieu où se fait le commerce. Ce mot désigne aussi les rapports humains, les relations que nous tissons entre nous. Ce double sens du mot commerce a subsisté pendant longtemps en français. Du temps de Molière encore, « avoir commerce » ou « faire commerce » avec quelqu’un, c’est être en relation avec cette personne. Et ce mot, de manière peut-être encore plus signifiante, désigne parfois aussi la manière de se comporter à l'égard d'autrui : « Il est homme d'un bon commerce », écrit La Bruyère dans ses « Caractères ».
Le commerce, enfin, dans le français des Lumières, peut désigner une correspondance suivie, une relation rapprochée, intime parfois… « et plus si affinités », pourrait-on dire aujourd’hui.
Cette parenthèse étymologique montre que le commerce a souvent été le premier trait d’union à se développer entre les peuples et les nations. Qu’il a permis et favorisé, au fil des âges, la propagation des idées, les échanges culturels, la confiance mutuelle. Et qu’historiquement, c’est le commerce qui a semé et fait grandir entre civilisations, lointaines ou voisines, les germes de la paix… même s’il n’a pas toujours permis d’éviter la guerre. L'essence du commerce, c'est bien la satisfaction mutuelle et durable des deux parties à une transaction, ces deux caractères étant indissociables. C’est pourquoi, à mon sens, tout commerce doit être équitable pour être pérenne.
Le commerce équitable, tel qu’il s’est développé depuis les années 1970 dans les pays du Nord à économie de marché, est né d'une intention louable : rééquilibrer les échanges entre pays producteurs, souvent des pays émergents, et importateurs, généralement plus développés économiquement. Ce concept et les premiers labels mondiaux qui ont codifié et rendu visible cette appellation ont été très bénéfiques et ont atteint leurs objectifs. Mais faut-il continuer d’embrasser la logique de multiplication des labels qui prévaut aujourd’hui, et que la loi Climat et Résilience de 2021 a d’ailleurs continué d’encourager ? La question mérite d’être posée. Car, lorsque chacun définit son propre label, le consommateur est vite perdu et ne sait plus ce qui est vraiment « équitable ».
D’autre part, parce que les questions qui sont aujourd’hui importantes pour les consommateurs ne sont pas les mêmes qu’hier : d'autres enjeux de responsabilité sociétale – pour n’en citer que deux, l’absence de discriminations de genre dans l’accès aux structures économiques, ou l’inclusivité vis-à-vis des personnes en situation de handicap – sont devenus tout aussi importants que la redistribution des richesses entre producteurs et importateurs.
Et puis, fondamentalement, tout label induit une lecture trop binaire : il y aurait d’un côté ceux qui feraient tout bien, et de l’autre ceux qui auraient tout faux...
En réalité, si l’on prend un peu de hauteur, que voit-on ? Un nombre croissant d'entreprises qui ne font pas partie du champ de l'économie sociale et solidaire adoptent, spontanément et sans rechercher une labellisation quelconque, des pratiques et standards vertueux qu'il s'agisse de leurs relations avec leurs fournisseurs, avec leurs clients, avec les écosystèmes auxquelles ils appartiennent et qu'ils cherchent à préserver plutôt qu'à en tirer profit...
Nous serions-nous trompés de combat ? Je ne le pense pas : la promotion du commerce équitable correspondait à un temps de notre prise de conscience et de l’évolution de nos économies. Il est temps de sortir d’une vision trop étroite des choses où seul un type de commerce est célébré, alors que d’autres ne déméritent pas. En somme, il est temps d’avoir une vision équitable. Oui, nombreuses sont les entreprises qui, consciencieusement, agissent pour transformer nos modes de production et de distribution. Qui veulent, au fond, avoir commerce avec le monde.
Fabien Versavau, président et CEO de Rakuten France