Tribunes

La place de marché, nouveau lien direct entre marques et consommateurs ?

19/01/2020
Par Fabien Versavau, PDG de Rakuten France

Alors que le volume d’affaires des places de marché dans le e-commerce ne cesse de croître, les marques, expertes du storytelling, ont une carte à jouer en intégrant celles-ci dans leur stratégie de diversification des canaux de distribution et de vente directe aux consommateurs. À condition de s’assurer que ces marketplaces soient en mesure de transposer efficacement leurs valeurs et leurs histoires.

Par Fabien Versavau, PDG Rakuten France

Actrices incontournables du commerce, les marques détiennent une place privilégiée dans le cœur des consommateurs. À travers les valeurs qu’elles véhiculent et les symboles qu’elles incarnent, elles ont su inspirer des millions d’adeptes et proposer une vision à l’échelle planétaire par leur maîtrise du storytelling : « dis-moi ce que tu achètes je te dirai qui tu es », et de l’expérience client. Mais le monde dans lequel celles-ci évoluent est en perpétuel mouvement. Les consommateurs se sont digitalisés, et l’e-commerce s’est développé en conséquence. De nouveaux acteurs, comme les DNVB (Digital Native Vertical Brands), sont même apparus sur le marché. Les marques ont vu alors leur poids s’amenuiser, tout comme leur pouvoir de négociation, que ce soit face aux acteurs de la distribution ou face aux plateformes e-commerce, en croissance exponentielle (elles représentent à présent 52% de l’e-commerce mondial en volume d’affaires).

Aujourd’hui, le commerce est devenu accessible à portée de clics, les achats en ligne se sont multipliés et banalisés. Le consommateur retrouve le produit qu’il souhaite en quelques secondes. Un internaute peut quitter un site e-commerce d’un simple mouvement de souris. Il est devenu plus difficile pour les marques de tisser un lien émotionnel avec ses acheteurs sur certaines plateformes e-commerce qui se concentrent sur la fonctionnalité et le prix, car leurs produits sont mis en concurrence directe, sans possibilité d’intégrer leur histoire. On se concentre sur le produit, et non plus sur l’histoire, ce qui ne favorise plus l’expérience de marque qui constituait leur véritable valeur ajoutée.

Pourtant, tout n’est pas noir. Les consommateurs sont toujours fidèles aux marques. Selon une enquête LSA/Adrexo, 66 % des consommateurs interrogés témoignent d’un attachement important aux marques. Ces dernières entretiennent une image forte, en plongeant les consommateurs dans des histoires extraordinaires. Le logo de Nike 'Just Do It' a réussi à ancrer son identité dans les mémoires, à travers un scénario qui présente systématiquement un héros traversant des péripéties pour dénicher le seul produit qui l’aidera à concrétiser ses rêves.

Direct-to-consumer : les marques reprennent le contrôle

Les marques font donc face à un nouveau modèle économique et une nouvelle façon de consommer. Elles constatent qu’un même utilisateur peut tester leur produit en magasin, effectuer une veille en ligne sur des forums, des comparateurs, et acheter sur des plateformes e-commerce. Les marques s’adaptent désormais à des modes de consommation différents en intégrant pleinement le e-commerce au sein de leurs organisations, chacune à son rythme. Elles souhaitent ainsi reprendre le contrôle de leur stratégie de vente en ligne et s’adresser directement à leurs clients, très attachés à leurs univers, mais également à de nouvelles cibles.

C’est ce que l’on appelle le modèle "Direct-to-Consumer". Celui-ci séduit les marques souhaitant adresser directement leurs produits à leurs utilisateurs ou à de nouvelles communautés d’acheteurs, que ce soit sur leur propre site ou via des places de marché. La dernière étude KPMG/Fevad a mis en lumière cette nouvelle tendance : le lancement ou l’accélération de la stratégie du Direct to Consumer sont cités parmi les projets prioritaires de 46% des marques interrogées. Mais toutes ne se convertissent pas à la même vitesse : certains acteurs s’y sont attelés dès l’apparition du e-commerce (Nespresso, Nike, Adidas), tandis que d’autres sont encore en phase de transformation. Samsung a par exemple récemment signé un partenariat exclusif avec Rakuten afin d’adresser ses produits selon sa stratégie propre en termes marketing de prix, de mise en avant et d’opérations.

Pour amorcer cette évolution, les marques ont besoin de mettre en place un mode opératoire adéquat, ainsi qu’une stratégie claire entre les différents canaux dont elles disposent (site internet, places de marché, drive-to-store...). De lourds investissements au niveau organisationnel, humain, et technologique doivent être déployés afin de reconquérir le cœur des consommateurs. S’équiper de services dédiés disposant de l’expertise nécessaire pour engager ce nouveau processus, tout comme repenser le modèle logistique, demande du temps. C’est pourquoi certaines marques font appel à des prestataires externes ou des cabinets de conseils pour se lancer dans l’aventure du DtoC, ou bien rachètent de jeunes entreprises spécialisées à l’instar d'Unilever qui a fait l’acquisition de Dollar Shave Club, une marque disposant d’une expertise reconnue sur la vente directe aux consommateurs.

Places de marché et perte de contrôle de l'image des marques ?

Alors qu’en France, le volume d’affaires des places de marché représente 30% du volume d’affaires total des sites internet du panel iPM Fevad, celles-ci sont en mesure de donner l’accès aux marques à de fortes communautés d’acheteurs et de leur générer un volume de ventes additionnelles non négligeable. Aujourd’hui, les marques font face à un dilemme, en souhaitant générer de la croissance par le biais du e-commerce tout en conservant le contrôle sur leur image. C’est pour cela que certaines places de marché leur donnent la possibilité de développer des espaces dédiés sur mesure. En leur proposant des espaces d’expression libres, et des boutiques personnalisées, appelées des Rakuten Corners, elles leur permettent de raconter leur histoire, et de reproduire leur univers graphique propre, toujours dans le but d’offrir une expérience d’achat unique.

En outre, les places de marché leur donnent accès à une communauté de nouveaux acheteurs, et à un trafic fort, généré par de nombreux leviers d’acquisition, et ce à moindre coût (par exemple, les marques payent une commission faible par rapport aux coûts engendrés sur leurs propres sites). Elles leur offrent aussi une visibilité accrue, en leur donnant le moyen de renforcer une présence continue par le biais du "Retail Media". Rappelons que ce levier de mise en avant a connu la plus forte croissance en termes d’investissements publicitaires (+47% vs 2018) selon la 22ème édition de l’Observatoire de l’e-pub du 1er semestre 2019 présentée par le Syndicat des régies internet (SRI). Le lancement de l’option du retrait en magasin par les places de marché symbolise également une initiative clé pour soutenir les marques dans leur objectif d’augmenter leur trafic en magasin.

Constituant de véritables catalyseurs, les places de marché contribuent au rapprochement des marques avec les consommateurs, à condition qu’elles puissent recréer de manière satisfaisante l’univers de ces dernières en ligne. Pour une enseigne décidant de franchir le pas en s’associant à une plateforme e-commerce, l’enjeu pour celle-ci sera de veiller à ce que ses produits soient bien valorisés au sein de son histoire de marque. Plonger les utilisateurs dans l’univers de la marque, et proposer des services permettant de driver du trafic en magasin, doivent ainsi faire partie intégrante de la mission des places de marché.