La seconde main, une étape clé vers une nouvelle société de consommation
La seconde main a fait son chemin dans l’esprit des Français. Elle s’est imposée comme un véritable phénomène de société, marquant un changement irréversible dans notre rapport à la consommation. Parce qu’elle réconcilie des enjeux économiques et environnementaux en prise directe avec nos vies, et des aspirations humaines très profondes, la seconde main est là pour durer.
D’abord, parce qu’elle perpétue une pratique économique très ancienne, universelle, à laquelle la technologie donne une dimension sans précédent. Ce qui, avant, posait problème, c’était la mise en relation, la difficulté à s’adresser à une quantité suffisante d’acheteurs potentiels, au-delà de son cercle proche. Pour dire les choses autrement : on vendait d’occasion, quand l’occasion s’en présentait. La technologie des plateformes a permis une systématisation, une agrégation de flux marchands autrefois diffus.
Grâce à cela, le commerce de seconde main permet à l’acheteur de faire des économies en trouvant le même objet moins cher, et donc d’améliorer son pouvoir d’achat. Même chose côté vendeur : c'est une manière d'optimiser ce que vous « stockez », et de libérer ce dont vous n'avez plus besoin. En langage économique, c’est arrêter d’immobiliser des actifs. Or, les objets dont on n’a plus besoin, c’est du pouvoir d’achat qui dort… Là encore, la technologie des plateformes crée un marché liquide pour ces objets. Pour les particuliers, la revente était souvent compliquée ; c’est devenu un geste banal. Au pouvoir d’achat, s’est ajouté le pouvoir de vendre.
Mais l’envie de « consommer autrement » s’appuie sur d’autres déterminants puissants, notamment la recherche d’une consommation plus responsable. La prise de conscience planétaire en faveur de la transition écologique a fait évoluer les comportements d’achat. Chacune et chacun aspire à apporter sa contribution, même modeste. La seconde main, tout le monde l’a compris, c’est une consommation plus sobre en carbone, et donc un impact direct sur le réchauffement climatique.
Un regard plus sociologique permet aussi de voir dans la seconde main l’expression d’une aspiration fondamentale, constitutive des sociétés humaines. La seconde main, c’est en effet une forme de partage, une manière de libérer des produits qui vous ont réjoui mais dont vous n'avez plus besoin (vos enfants ont grandi, vos goûts ont changé…) pour que d’autres puissent à leur tour en profiter.
Ainsi, les achats « pour la vie » sont devenus l’exception. De plus en plus, on achète un objet pour sa valeur d’usage, à un moment donné et pour une durée souvent limitée. Une fois le plaisir émoussé, le besoin passé, on revend. L’objet aussi est devenu un service.
Enfin, et c’est fondamental, la seconde main est la source d’un plaisir unique : celui de dénicher l’objet rare, qu’on ne trouve plus en rayon ... Aujourd’hui, on chine plus en ligne qu’à la brocante. Ainsi, à la rationalité de l’achat s’ajoute la notion de plaisir, qui est au cœur même de l’expérience d’achat. D’ailleurs, la croissance des achats de seconde main porte majoritairement sur trois catégories « reines » : les loisirs, la mode et le high-tech.
Le commerce de seconde main répond donc au besoin de rationalité et d’efficience économique, à l’impératif écologique, au besoin de partage et à la recherche du plaisir. C’est tout sauf la gestion de la rareté des ressources dans un monde tristement malthusien. Ce mode de consommation est absolument complémentaire à l’achat de produits neufs, lui aussi en plein essor, et toujours indispensable, ne serait-ce que pour l’innovation, pour mettre sur le marché des produits différents, plus performants. Le neuf, c’est l’assurance du progrès !
Loin des positions trop tranchées sur le sujet et des injonctions à la décroissance, on voit que notre meilleur avenir sera dans l’équilibre entre le neuf et la seconde main. Chaque objet est amené à vivre un cycle de vie plus riche, d’abord comme produit neuf, puis passant de main en main pour retrouver à chaque fois une plus grande valeur d’usage, jusqu’au recyclage.
Dans cet équilibre s’esquisse une nouvelle société de consommation, corrigeant les excès des décennies passées et prenant enfin la mesure des défis écologiques, tout en conservant ce qui est au cœur de l’acte d’achat : le plaisir.
Par Fabien VERSAVAU, PDG, Rakuten France