On ne met pas le progrès sur pause
Plusieurs grandes figures de la Tech voudraient mettre l’IA sur pause, oubliant cette loi historique qui veut que l’on n’arrête pas le progrès.
Bien sûr, l’irruption de l’IA dans nos vies soulève des interrogations fondamentales. Ne les minimisons pas, en surjouant l’optimisme, car nous touchons à l’essence même de ce qui fonde l’Humanité, et la distingue de la machine, ou du monde animal : la conscience, la rationnalité, le libre arbitre. Ce ne sont pas de petites questions. Nous vivons un basculement historique, comme il y en a eu peu au cours des siècles.
Pour autant, la posture attentiste, si elle peut apparaître séduisante de prime abord, ne peut être la solution.
Mettre le développement de l’IA sur pause est tout d’abord illusoire. Partout dans le monde, des entreprises de toutes tailles ont lancé des programmes ambitieux de recherche et développement ; dans les grandes universités ou au fond d’un garage, des femmes et des hommes travaillent à révéler le gigantesque potentiel de l’IA. Comment imaginer qu’un tel effort de recherche, qu’une telle soif de découverte, puissent être stoppés, quand bien même les poids lourds de la Tech le décideraient ? Qui peut prétendre avoir l’autorité pour suspendre un mouvement générateur de tant d’avancées et d’opportunités de progrès ? Santé, éducation, transports, lutte contre le réchauffement climatique… Plutôt que de stopper, il faut ouvrir, ouvrir largement, miser sur une culture de l’open AI pour accélérer les dynamiques d’innovation, favoriser les logiques collaboratives et de réseaux entre les centres de recherche et avec les acteurs économiques, au service de l’intérêt général. La question à se poser pour nous européens, car il y va de notre souveraineté et de notre rang dans l’ordre mondial, est comment favoriser l’émergence de champions européens de l’IA, capables de s’imposer aux côtés des Américains et des Chinois qui ont des dynamiques d’investissements publics et privés des dizaines de fois supérieures aux nôtres. Il n’est pas trop tard, mais le temps presse.
Illusoire, cette pause proposée serait également inutile si elle ne servait pas à s’emparer sérieusement des questions que soulève la diffusion de l’IA.
Oui, les nouveaux modèles d’IA dépassent l’homme pour de plus en plus de tâches intellectuelles.
C’est en vrai le cas depuis longtemps, que ce soit pour traiter un grand nombre d’informations, apprécier des probabilités, détecter des patterns… Selon Goldman Sachs, 300 millions de métiers intellectuels vont être détruits car des tâches que l’on pensait jusqu’à ce jour non-automatisables – en réalité des tâches intellectuelles mais souvent répétitives et à faible valeur intellectuelle ajoutée – seront demain assumées par des intelligences artificielles. Mais combien aussi de millions d’emplois déjà créés dans la Tech – un secteur aujourd’hui en tension, avec même une pénurie de talents en France ! – et combien de millions créés demain et après-demain. Et puis aussi combien de temps créatif supplémentaire ? En sous-traitant à la machine, le génie humain va pouvoir se concentrer sur les missions à plus forte valeur ajoutée. Plus d’intelligence artificielle, c’est donc aussi l’occasion d’une libération de l’intelligence humaine, d’une réinvention de la créativité.
Seconde question soulevée : oui, il est de plus en plus difficile de comprendre comment fonctionnent certains algorithmes auto-entraînés.
La question de la réglementation de l’IA, de son contrôle se pose donc nécessairement. Dès avril 2021, l’Union européenne a entamé un important travail, qui se traduit en ce moment même par l’étude au Parlement européen de l’Artificial Intelligence Act, un texte contenant notamment des mesures d’interdiction de l’IA à certains secteurs. C’est une excellente chose. Législative, la réponse doit aussi être technologique, avec la possibilité d’utiliser l’IA pour contrôler l’IA, pour maitriser en dernier ressort des algorithmes de plus en plus puissants.
Les questions, incontournables, existentielles, juridiques, technologiques ici listées seront les mêmes dans six mois. Alors prenons-les à bras le corps sans attendre. Mobilisons les plus grands esprits de notre temps – prix Nobel et médailles Fields, philosophes et scientifiques, académiciens et entrepreneurs – autour des défis de l’IA. Des défis qui invitent à une pluridisciplinarité ambitieuse tout autant qu’à la sagesse collective.
Une pause ne résoudrait rien. Avançons au contraire avec enthousiasme et les yeux grands ouverts vers ce monde nouveau.